Regards croisés sur les limites planétaires (environnement, droit, numérique)

Journée de travail du projet ALDIWO avec le soutien du projet VerIT

Cette journée vise à rassembler des présentations issues de différentes disciplines pour réfléchir aux enjeux d’opérationnalisation des limites planétaires, avec une attention spécifique aux questions liées au numérique.

La journée est organisée par le projet ALDIWO, avec le soutien de VerIT, projet de formation dans le cadre des projets France 2030 “Compétences et métiers d’avenir” (CMA).

 Numérique et limites planétaires

Depuis une quinzaine d’années, la trajectoire suivie par le secteur du numérique est régulièrement interrogée au regard de son empreinte croissante sur la planète, non seulement en matière d’émission de gaz à effet de serre mais également de pression sur les ressources hydriques et abiotiques, d’écotoxicié etc. Face aux critiques, les industriels ont réagi en mettant en avant les gains d’efficacité obtenus par optimisation des systèmes de production, des équipements électroniques, du code informatique, par le rachat de certificat d’énergie etc. Ces approches perpétuent implicitement l’idée d’une croissance sans limite, d’un système technique qui pourrait s’affranchir des contraintes de ressources. Questionnant cet élan sans cesse renouvelé vers une informatique sans limite, nous proposons de nous tourner vers les recherches portant sur les limites planétaires. Celles-ci connaissent un essor important depuis les années 2010, donnant lieu plus récemment à un ensemble de travaux visant à opérationnaliser ce qui apparaissait en premier lieu comme un programme de recherche scientifique. Que faire des limites planétaires ? Dans quelle mesure peut-on mobiliser dans des perspectives pratiques un champ de recherche récent et aux résultats fluctuants ? Cette journée est organisée en deux temps. La matinée rassemble des chercheurs et chercheuses qui interrogent cette notion de limites planétaires dans différents domaines : environnement, droit, informatique. L’après-midi rassemblera la communauté de recherche en numérique responsable dans des ateliers interrogeant l’opportunité et les modalités d’une informatique inscrite dans les limites planétaires.

Les impacts environnementaux du numérique sont étudiés en recherche sous deux angles principaux : (1) les approches dites “Green IT” s’attaquent à l’optimisation de consommation électrique des équipements numériques en phase d’usage ; (2) les approches dites “Green-by-IT” ont l’ambition de réduire les impacts environnementaux de secteurs autres que le numérique, grâce au numérique.

Ces directions actuelles ne suffisent pas à couvrir l’ensemble des futurs envisageables quant à la place du numérique dans les bouleversements environnementaux actuels et à venir : (1) il n’y a pas d’exemple dans l’histoire du numérique, où les optimisations n’aient pas été accompagnées d’effets rebond massifs qui annulent les gains de ces optimisations ; (2) les gains théoriques espérés en proposant une nouvelle génération d’équipements numériques ne sont pas toujours au rendez-vous en pratique, en partie parce qu’une génération ne remplace pas la précédente, mais s’y ajoute, au moins pendant un certain temps ; (3) il est très difficile d’évaluer la potentielle réduction des impacts environnementaux des autres secteurs qu’on cherche à optimiser grâce au numérique. C’est un pari risqué de tout miser sur le fait que ces réductions seront suffisamment importantes pour autoriser le numérique à ne pas réduire ses propres impacts.

Pour que le numérique prenne sa part de la nécessaire réduction des impacts environnementaux globaux, il faut absolument envisager d’autres pistes que le green-IT et le green-by-IT. Il y a tout un pan de recherche potentielle en informatique qui constitue de la science non faite (Undone Science [1]). Ces sujets peuvent être étudiés depuis l’intérieur de la discipline informatique, en réexaminant systématiquement les choix de conception des systèmes anciens ou modernes, en cherchant des points d’optimisation potentielle encore non explorés, en évaluant la fragilité des infrastructures numériques vis-à-vis de contraintes drastiques imposées de l’extérieur, etc.

La réflexion cantonnée aux domaines de recherche du numérique nous semble cependant avoir deux défauts principaux : (a) elle est intrinsèquement limitée aux aspects pratiques et technologiques de la question, sans bien savoir par exemple comment tenir compte des usages, des effets rebond, des effets d’accélération de tous les autres secteurs, etc. ; (b) elle pâtit, même si c’est parfois inconscient, d’un cadre de réflexion qui voit les technologies numériques comme un (voire le seul) moyen d’ouvrir les futurs possibles, et toute idée de limitation comme relevant d’un pessimisme irréaliste ou d’un manque de confiance condamnable. Or dans son article “Predictions Without Futures” [2], S. Hong décrit parfaitement comment l’imaginaire du monde technologique, loin d’ouvrir les futurs, les referme complètement.

Dans le projet ALDIWO, nous proposons donc d’explorer la notion de « limite » dans un cadre pluridisciplinaire, afin de dessiner des pistes pour un programme de recherche prenant au sérieux le projet d’une sobriété numérique.

[1] S. Frickel, S. Gibbon, J. Howard, J. Kempner, G. Ottinger, and D. J. Hess, “Undone Science: Charting Social Movement and Civil Society Challenges to Research Agenda Setting,” Science, Technology, & Human Values, vol. 35, no. 4, pp. 444–473, Jul. 2010, doi: 10.1177/0162243909345836.

[2] S. Hong, “Predictions Without Futures,” History and Theory, vol. 61, no. 3, pp. 371–390, 2022, doi: 10.1111/hith.12269.

 Exposés invités et ateliers du 15 novembre 2024

  • Théo Vischel, enseignant-chercheur en hydrologie à l’Université Grenoble Alpes au sein de l’Institut des Géosciences de l’Environnement. Limites planétaires: concept et matière à réflexion pour un futur soutenable
  • Claire Malwé (IODE, Univ. de Rennes), Les limites planétaires dans le droit
  • Olivier Michel (LACL, Université Paris-Est Créteil), Limites planétaires et enseignement de l’informatique

Les supports des conférences sont disponibles ci-dessous.

  • Atelier : Changer l’évaluation des projets d’étudiants en informatique pour une prise en compte des limites et de la durabilité : le dossier de pérennité
  • Atelier : le numérique dans les limites planétaires, ça veut dire quoi ? Que se passerait-il si on arrêtait complètement de fabriquer des circuits électroniques neufs ?
  • Atelier : où est caché le numérique qu’on suppose disponible sans limites ? et pourquoi ?

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